Sagan, 1er janvier 1851.– Cette date fait naître plus de pensées sérieuses et graves qu'elle ne permet d'espérance et qu'elle n'offre de joies. Que nous donnera cette année que nous inscrivons aujourd'hui pour la première fois? Que de mystères elle renferme!
Sagan, 7 janvier 1851.– Je pars dans quelques heures pour Berlin où la grippe règne épidémiquement. D'après les derniers relevés, soixante mille personnes en étaient atteintes. Cette vilaine grippade, partout où elle a régné, a été le précurseur du choléra. Ainsi, il se pourrait bien que ce grand moissonneur se réveille sur nouveaux frais pour une nouvelle récolte. A la garde de Dieu!
Je pense trouver Berlin fort à la paix pour ce qui regarde l'est de l'Europe. C'est pour l'instant le principal. Quant à Dresde, je ne crois pas qu'on y parvienne à résoudre promptement toutes les questions pendantes. L'équilibre est bien difficile à retrouver, après de si formidables secousses.
Berlin, 9 janvier 1851.– Le Cabinet Manteuffel a eu la majorité dans les deux Chambres, pour empêcher la reprise de la discussion de l'Adresse1. Tous les ministres, à cette occasion, ont fort bien parlé, déclarant qu'ils étaient décidés à briser sans retour avec la révolution.
Je ne sais pas encore grand'chose, n'ayant vu que la Mission anglaise. A tout prendre, j'ai cependant aperçu que si les gens sages sont satisfaits de la paix, chacun se sent plus ou moins humilié des reculades nécessaires; on reste abattu et sérieux. M. de Manteuffel, que j'ai rencontré sortant de la Chambre, et qui a arrêté ma voiture, m'a dit qu'il était fort préoccupé des nouvelles de France; que Hatzfeldt, dans ses dépêches, le préparait à de nouvelles crises.
Berlin, 11 janvier 1851.– On est assez sérieux ici, socialement. Hier cependant il y a eu un joli concert à Charlottenburg, et les physionomies étaient assez ouvertes. M. de Manteuffel est retourné à Dresde, pour y passer quarante-huit heures et prendre congé du prince Schwarzenberg qui repart définitivement pour Vienne. Dresde marche clopin-clopant; cependant, on y cherche, et on croit y trouver une solution. Il est question, mais vaguement encore, d'envoyer le comte d'Arnim-Heinrichsdorf à Vienne.
On se montre, ici, très préoccupé des destinées de la France et de l'état critique qui s'y révèle de plus en plus. M. de Persigny a laissé un triste renom. On est satisfait de son successeur, qui a une chétive mine, mais qui est poli et sans jactance2.
Humboldt se porte étonnamment bien, mais sa politique est, à mes yeux, moins belle que sa mine.
Berlin, 15 janvier 1851.– Les agitations politiques parisiennes préoccupent ici3, mais cependant l'attention du public est toujours principalement tournée vers Dresde d'où il paraît que le baron de Manteuffel est revenu de bonne humeur, il y a deux jours. Hier au soir, ses salons étaient remplis. J'y ai paru un instant, tout le parti conservateur s'étant promis de s'y rendre.
M. Thiers est aux pieds de Mme de Seebach, disant qu'elle n'est pas jolie, mais qu'elle a de l'élégance dans l'esprit. On dit aussi qu'il écrit souvent à la Reine des Pays-Bas, et que ces commerces féminins le consolent des mécomptes de son ambition.