L'Italie, à la suite des campagnes de 1796 et 1797, a été comme transformée par Bonaparte. Vieilles monarchies, républiques aristocratiques ou démocratiques, principautés électives ou héréditaires, il a, de sa tranchante épée, tout ébranlé, tout bouleversé, tout modifié. Ses marches rapides dans la péninsule, ses foudroyantes victoires, l'entrée dans les capitales ennemies, le défilé des prisonniers, des drapeaux, des objets d'art, seule, cette héroïque épopée a longtemps occupé l'imagination. On a peut-être eu le tort de trop laisser de côté ce qu'on pourrait appeler la partie intérieure de la question italienne. Les batailles ont fait oublier les négociations et les coups de force les traités; et pourtant l'histoire des républiques éphémères créées, renouvelées ou préparées par Bonaparte présente un grand intérêt! Nous avons essayé, nous n'osons dire de combler cette lacune, mais à tout le moins de réparer cette omission, en présentant, dans un tableau rapide, l'histoire de la création des cinq républiques improvisées par le conquérant. Nous le verrons créer de toutes pièces la République Cisalpine; détruire pour la reconstituer sous une forme démocratique la République Ligurienne; renverser, mais cette fois pour la partager, la République Vénitienne; enfin préparer les deux Républiques Romaine et Parthénopéenne. Tantôt il interviendra directement, et, par une brusque décision, saura résoudre une situation compliquée; tantôt ses confidents agiront seuls, mais sous sa haute direction. Présent ou absent, sa main, sa lourde main, pèsera toujours dans la balance. À lui, et rien qu'à lui, les contemporains reporteront la responsabilité des événements. C'est donc lui qui, de près ou de loin, sera toujours en scène.
Au moment où je ne sais quel souffle révolutionnaire passe de nouveau sur l'Italie et menace d'ébranler, non pas l'unité italienne, mais la monarchie piémontaise, peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt d'évoquer des souvenirs déjà séculaires, et de montrer, par l'étude du passé, que ce que firent les Italiens à la fin du XVIIIe siècle, les Italiens pourraient bien le refaire à la fin du XIXe siècle.
Paul Gaffarel.
La domination autrichienne dans le Milanais. – Le parti national Italien. – Fuite de l'archiduc Ferdinand. – Entrée des Français à Milan. – Organisation d'un gouvernement provisoire. – Les premières déceptions. – Les extractions et les réquisitions. – Insurrection de Pavie. – Répression de l'émeute. – Brutalités et pillages. – La guerre aux fournisseurs. – Bonaparte à Mombello. – Les modérés et les exaltés. – Le journalisme et le théâtre. – Le Ballet du Pape. – Les fêtes patriotiques. – Les derniers partisans de l'Autriche. – Bonaparte se prononce en faveur des modérés. – Les théoriciens politiques. – Création de la république Cisalpine. – Formation territoriale. – Annexion de la Valteline. – Prospérité apparente.
Depuis le traité d'Utrecht qui termina la guerre de Succession d'Espagne, en 1713, l'Autriche1, maîtresse du Milanais et du Mantouan, était fortement campée dans l'Italie du nord. C'était une occupation militaire plutôt qu'une prise de possession véritable, car il existait, entre les Autrichiens et les Italiens trop de différences dans les mœurs, les usages, la langue et les institutions pour que jamais ces deux peuples pussent renoncer à leur rivalité séculaire et se fondre en une race homogène. Les Autrichiens étaient maîtres par le fait de la guerre, par la raison du plus fort, et les Italiens avaient le sentiment de leur infériorité, mais la compression brutale de l'Autriche n'avait pas encore éteint dans les cœurs Italiens le souvenir de l'antique gloire et le désir de la ressusciter. Il existait donc, dans les provinces italiennes de l'Autriche, ce qu'on pourrait appeler, si l'expression n'était bien moderne, un parti autonomiste, c'est-à-dire tout disposé à recouvrer son indépendance nationale. Ce parti se composait surtout des classes moyennes. Les négociants, les industriels, les propriétaires aisés, les médecins, les professeurs en faisaient la force et le nombre. Quelques descendants des vieilles familles aristocratiques qui avaient ou dédaigné ou repoussé les faveurs de l'Autriche, les Serbelloni, les Visconti, les Melzi, donnaient encore au parti italien l'appui de leur influence. Le voisinage de la France, la contagion des idées nouvelles2, le vent de réformes sociales et politiques qui soufflait alors sur l'Europe entière, avaient comme enfiévré les espérances des patriotes, car on les désignait déjà sous ce nom, mais ces espérances ils n'osaient encore les dévoiler au grand jour; l'Autriche en effet surveillait attentivement toute explosion de sentiments contraires aux intérêts de la dynastie, et, bien que les gouverneurs de la Lombardie eussent reçu l'ordre de traiter avec douceur les sujets italiens, ils étaient impitoyables à l'égard de tous ceux qui paraissaient vouloir renverser le gouvernement établi. On ne connaissait pas encore en Europe le carcere duro ou durissimo, plus tard illustré par Silvio Pellico, mais on le pratiquait déjà, et, si quelque patriote était en quelque sorte protégé par l'éclat de son nom ou de sa réputation, l'exil, à défaut de la prison, avait vite raison du récalcitrant.
Le parti national italien à la fin XVIIIe siècle, vivait uniquement d'espérances. Son opposition était surtout littéraire et, pour ainsi dire, historique. Elle s'exprimait par des conversations particulières ou de temps à autre par des articles de journaux, dont les allusions discrètes n'étaient même pas comprises par tous les lecteurs; aussi l'Autriche se souciait-elle très peu des innocentes épigrammes d'un Parini, d'un Verri ou d'un Carli. Elle laissait même à peu près toute liberté aux rédacteurs du journal Il Caffee parfois savait leur fermer la bouche en leur accordant quelque grasse sinécure. Soutenue par le clergé qui prêchait l'obéissance, par le peuple qui suivait l'impulsion du clergé, par les fonctionnaires qui tenaient à conserver leurs positions et enfin par cette masse d'indifférents qui, sous n'importe quel régime, est toujours prête à sacrifier sa liberté à son bien-être, l'Autriche se croyait à tout jamais la maîtresse incontestée de la Lombardie. Elle riait même des prétentions du parti italien, et se moquait de ceux qu'elle appelait les Guelfes, comme si les espérances des patriotes eussent été aussi hors de propos que cette appellation qui rappelait un autre âge.
Les Guelfes allaient pourtant avoir leur revanche, plus prompte et plus complète qu'ils n'eussent osé l'espérer. On sait combien fut terrible le réveil de l'Autriche, comment en quelques jours fut détruit l'édifice dont elle croyait des fondements si solides, comment la Lombardie tomba entre nos mains, et comment le parti italien se vit tout à coup investi de la toute-puissance et à la veille de réaliser ses plus secrets désirs. Voyons-les donc à l'œuvre ces patriotes. Quel usage feront-ils de cette victoire inattendue? Comment les Français leurs alliés leur permettront-ils de jouir de cette liberté improvisée?
Bonaparte venait d'imposer au Piémont l'armistice de Cherasco. Il avait, par une manœuvre hardie, occupé sans grande bataille la moitié de la Lombardie et frappé sur Beaulieu un coup retentissant au pont de Lodi. Le chemin de Milan lui était donc ouvert. Malgré la présence d'une forte garnison autrichienne qui occupait encore le château, la nouvelle de ces victoires avait été accueillie avec plaisir par toutes les classes de la population, d'abord parce que la gloire exerce une véritable fascination, ensuite parce que le changement plaît toujours aux masses populaires. Les couleurs nationales, vert, blanc et rouge, reparurent. Ce fut un certain Carlo Salvadori, Espagnol d'origine, Italien de naissance, ancien ami de Marat, qui osa le premier se montrer avec cette cocarde dans les rues de Milan. Les écussons impériaux furent aussitôt lacérés ou couverts de boue, et, lorsque l'archiduc Ferdinand, gouverneur de la Lombardie3, eut suivi la retraite de ses troupes, on afficha sur la porte de son palais: maison à louer, s'adresser au commissaire Saliceti. Ce dernier, ex-conventionnel, était le délégué du Directoire chargé de toutes les opérations non militaires.
Une municipalité provisoire fut créée. Deux des rédacteurs du Caffee devinrent les chefs, Pietro Verri, un économiste distingué, et le poète Parini, l'auteur du Jour, critique fine et mordante des travers de l'époque. En même temps Melzi d'Eril que sa naissance, ses richesses et son passé désignaient à cet honneur, fut député à Bonaparte pour le prier d'entrer à Milan4. Melzi partit le 13 mai 1796 et s'avança jusqu'à Melegnano, où il rencontra le vainqueur de Lodi. Le lendemain 14, Masséna entra avec l'avant-garde et fut reçu aux portes de la ville par le comte Francesco Nava. Le surlendemain Bonaparte fit son entrée5. Les grenadiers de Lodi ouvraient la marche. Ils furent couverts de fleurs et reçus avec des transports de joie. Les volontaires Polonais, commandés par Dombrowsky, qui servaient en assez grand nombre dans notre armée, reçurent aussi un accueil empressé, car les Milanais, avec cet instinct de générosité et de délicate prévenance qui les a toujours caractérisés, comprenaient qu'ils devaient, plus encore qu'aux Français, de la reconnaissance à ces exilés volontaires qui, privés de leur patrie, bravaient mille dangers pour leurs frères Italiens. Nos soldats étonnèrent par leur aspect et leur tenue ceux qui se rappelaient la raideur méthodique et la propreté scrupuleuse des bandes autrichiennes. «Ils campaient sans tentes, écrivait un témoin oculaire6 et leur marche n'avait rien de compassé. Leurs habits de couleurs diverses, étaient déchirés. Quelques-uns n'avaient pas d'armes7. Peu ou point de canons. Chevaux démontés et mauvais. Ils faisaient sentinelle assis. Au lieu d'une armée, on aurait dit une population sortie audacieusement de son pays pour envahir les contrées voisines. La tactique, l'art et la discipline cédaient constamment à l'audace et à l'impétuosité nationale d'un peuple qui combat de lui-même contre des automates contraints de se battre par crainte du châtiment.» Quand parut le général en chef, petit, pâle, au costume simple mais au regard ardent et au geste impératif, l'impression fut profonde. Ce n'était pas seulement un libérateur, c'était déjà un dominateur qui prenait possession de sa première conquête. Quelques heures plus tard, Bonaparte recevait à sa table, avec tous les généraux du corps expéditionnaire, les principaux Milanais et il en faisait les honneurs avec une aisance incroyable. Le même soir, dans un grand bal, il ouvrait les salons de son quartier-général, on disait déjà son palais, aux belles Milanaises8, et tenait au milieu d'elles une cour véritable. C'était la première de ces fêtes triomphales qui si souvent marquèrent sa vie. Il y faisait comme l'apprentissage de sa grandeur future, et, dès le premier jour, tout en marquant à chacun son rang et sa place, il se maintenait au-dessus de tous.
Au commencement de l'occupation française, les Milanais furent tout à leurs nouveaux alliés9. Les classes moyennes croyaient fermement que Milan deviendrait le noyau d'une Italie reconstituée en puissante nation; le peuple toujours amoureux de changement et qui s'abandonnait à la joie, les fonctionnaires et les nobles, les prêtres eux-mêmes flattés par les prévenances de Bonaparte et comme tirés de leur torpeur par ces grands mots de patrie et de liberté, qu'on ne prononce jamais sans que vibrent les cœurs, toutes les classes de la société en un mot témoignaient leur satisfaction de la venue des Français. De toutes parts les municipalités se constituaient et les Lombards attendaient avec impatience les décisions de leurs nouveaux maîtres.
Ces décisions furent d'abord favorables. Il semble vraiment que Bonaparte ait eu l'intention de rendre à cette malheureuse contrée, tant de fois opprimée par l'étranger, son indépendance pleine et entière. Italien d'origine, il songea à créer une république italienne. C'est ainsi qu'il supprima la giunta ou commission extraordinaire établie à Milan le 9 mai par l'archiduc Ferdinand. Il supprima également la chambre des décurions, mais garda le conseil d'État de treize membres, qui devait exercer ses fonctions au nom de la République Française et approuva la création des municipalités provisoires10. Il forma également une garde nationale destinée à concourir à la police et à la défense du pays et plus encore à persuader aux Italiens qu'ils allaient désormais se gouverner eux-mêmes. Il chercha même à se rendre populaire en flattant les puissances de l'esprit, et en accueillant avec distinction les artistes et les savants. «La pensée est devenue libre dans l'Italie, écrivait-il au mathématicien Oriani11. Il n'y a plus ni inquisition, ni intolérance, ni despotes. J'invite les savants à se réunir, et à me proposer leurs vues sur les moyens qu'il y aurait à prendre et les besoins qu'ils auraient pour donner aux sciences et aux beaux-arts une nouvelle vie … Le peuple Français ajoute plus de prix à l'acquisition d'un savant mathématicien, d'un peintre de réputation, d'un homme distingué, quel que soit l'état qu'il professe, qu'à celle de la ville la plus riche et la plus populeuse.» Belles paroles assurément mais prononcées pour la galerie, car, au moment même où ses oreilles retentissaient encore du bruit des compliments et des vivats dont on avait salué son entrée à Milan, le surlendemain de sa réception triomphale, voici ce qu'il écrivait au Directoire12: «Milan est très porté pour la liberté, il y a là un club de 800 individus, tous avocats ou négociants. Nous allons laisser exister les formes de gouvernement qui sont en usage; nous changerons seulement les personnes qui, ayant été nommées par Ferdinand, ne peuvent mériter notre confiance. Nous tirerons de ce pays-ci vingt millions de contribution. Cette contrée est une des plus riches de l'univers, mais entièrement épuisée par cinq années de guerre. D'ici vont partir les journaux, les écrits de toute espèce qui vont embraser l'Italie, où l'alarme est extrême. Si ce peuple demande à s'organiser en république, doit-on le lui accorder? Voilà la question qu'il faut que vous décidiez et sur laquelle il serait bon que vous manifestassiez vos intentions. Ce pays-ci est beaucoup plus patriote que le Piémont, il est plus près de la liberté.13»
Rien donc n'est encore décidé dans l'esprit de Bonaparte. Les Milanais seront ce que le Directoire voudra qu'ils deviennent. On leur donnera des assurances vagues, des promesses sans précision, mais on ne s'engagera pas avec eux, et en attendant le Milanais deviendra une mine inépuisable et une officine de propagande révolutionnaire. Les Lombards s'imaginaient qu'ils allaient restaurer la patrie antique: ils ne seront entre les mains d'un vainqueur sans scrupules que les instruments inconscients de ses futurs desseins.
Aussi bien l'heure des déceptions arriva bien vite. Dès le 19 mai une proclamation annonçait aux Lombards que la France était disposée à les considérer comme des frères, mais que ceux-ci leur devaient un juste retour14. En conséquence on leur imposa une contribution de vingt millions exigible sur-le-champ. Les considérants du décret sont curieux à connaître: «Vingt millions de francs sont imposés dans les différentes provinces de la Lombardie autrichienne; les besoins de l'armée les réclament. Les époques des payements, qui doivent être, autant qu'il sera possible, très rapprochées, seront fixées par des instructions particulières. C'est une bien faible rétribution pour des contrées aussi fertiles, si on réfléchit surtout à l'avantage qui doit en résulter pour elles. La répartition eût pu sans doute en être faite par des agents du gouvernement français; ce moyen eût été légitime: la république française veut néanmoins s'en départir, elle la délaisse à l'autorité locale, au congrès d'état; elle lui indique seulement une base, c'est que cette contribution doit individuellement frapper sur les riches, les gens véritablement aisés, sur les corps ecclésiastiques … c'est que la classe indigente doit être ménagée.» Un arrêté du même jour, 19 mai15, portait nomination d'un agent à la suite de l'armée française en Italie «pour extraire et faire passer sur le territoire de la République les objets d'art et de science qui se trouvaient dans les villes conquises». Il est vrai que la spoliation devait être opérée dans les formes, car, en vertu de l'article 3, «il ne pourra être fait aucune extraction sans en avoir été dressé procès-verbal et sans être accompagné d'un membre d'une autorité reconnue par l'armée française». On avait prévu jusqu'aux difficultés de l'extraction. En vertu de l'article 5, «dans le cas où il serait impossible à l'agent des transports de procurer les moyens d'enlèvement, les commissaires des guerres et commandants des places les lui feront fournir, et, au cas où il ne pourrait se les procurer par cette voie, l'agent sera autorisé lui-même à requérir des chevaux et voitures dans la ville où se feront les extractions». Or qu'entendait-on par objets d'art ou de science? Le décret énumérait tableaux, statues, manuscrits, machines, instruments de mathématiques, cartes, etc., ce qui comportait une singulière variété d'objets, étant donnée surtout la bonne volonté de ceux qui étaient chargés d'interpréter le décret. En effet, le jour même où paraissait le décret, étaient extraits, pour être dirigés sur Paris, six tableaux de Luini, Rubens, Giorgione, Lucas de Leyde, Léonard de Vinci, le Calabrese, le carton de l'école d'Athènes par Raphaël, un vase étrusque, le fameux manuscrit de Josèphe, le manuscrit de Virgile ayant appartenu à Pétrarque, et un manuscrit qualifié de très curieux sur l'histoire des papes, le tout enlevé à la Bibliothèque Ambrosienne de Milan, sans préjudice d'un Titien et d'un Ferrari extraits d'alle Grazzie et d'un Salvator Rosa extrait d'alla Vittoria16.
Est-il vrai que tout finit par se compenser dans ce monde, et que les fils un jour ou l'autre payent pour les pères? Certes nous frémissons de colère à la pensée des vols, des pillages et des extorsions dont nos villes ou nos châteaux ont souffert dans la terrible guerre de 1870-1871, et on rira longtemps de l'amour immodéré, de la sympathie irrésistible qui poussaient les Allemands vers nos montres et nos pendules; mais soyons avant tout impartiaux et reconnaissons que nous avons peut-être fait pis encore en Italie à la fin du dernier siècle. Que d'excès révoltants, que de pillages honteux! Nous ne parlons seulement pas des tableaux et des statues, bien que le fait en lui-même soit profondément regrettable, et que le triste exemple que nous avons alors donné ait autorisé depuis bien des revendications plus ou moins légitimes; mais, abstraction faite de tout amour-propre national, avions-nous le droit de dépouiller les musées de Pavie pour enrichir notre Jardin des plantes et notre cabinet d'histoire naturelle? Étaient-ce vraiment des objets d'art et de science ces armes héréditaires conservées dans les palais italiens, et que nos officiers s'approprièrent sans scrupule? Que dire des chevaux de luxe qui finirent par être compris dans les objets d'art? Nous lisons en effet dans la correspondance de Bonaparte ces deux lettres étonnantes adressées, la première17 à Faypoult, ministre de France à Gênes, et la seconde au Directoire: «Je vous choisirai deux chevaux parmi ceux que nous requérons à Milan; ils serviront à vous dissiper des ennuis et des étiquettes du pays où vous êtes. Je veux aussi vous faire présent d'une épée18.» – «Il part demain de Milan cent chevaux de voiture, les plus beaux qu'on ait pu trouver dans la Lombardie: ils remplaceront les chevaux médiocres qui attellent vos voitures.»
C'était le général en chef qui se conduisait ainsi. Il commençait par deux chevaux et continuait par cent, et, le plus singulier, c'est qu'il ne paraissait pas se douter de la vilenie de l'action commise19. Est-ce donc qu'Alfieri20 a raison quand il lance contre le triomphateur cette terrible épigramme: «Je fais la guerre en Italie et non le trafic ni le commerce, disait Godefroy, le chef illustre et invincible. Je vole en Italie, et je n'y guerroie pas; j'y cherche de l'or sonnant et non une gloire frivole, dit l'ignoble capitaine gueux qui traîne après lui toute la ladrerie de Provence et de Languedoc.»
Rubo in Italia, e non guerregio, cerco
Oro sonante, e non frivola luce,
Dice l'ignobil Capitan Pitocco,
Ch'or dietro a se ne adduce
Ladreria di Proenza, e Linguadocco!
Le Directoire pourtant trouvait qu'il fallait étendre plus loin encore cette dénomination si commode d'objets d'art et de science. Il écrivait à Bonaparte pour lui recommander des bois de construction prêts à être embarqués, des chanvres de belle qualité, de la toile à voile, et il terminait par ces étranges paroles: «Rendons l'Italie fière d'avoir contribué aux progrès de notre marine.» Argent, approvisionnements, produits de l'industrie et de l'agriculture, rien n'échappait à l'œil exercé des réquisiteurs, et ce système de spoliation sans exemple dans l'histoire des nations modernes, on le décorait sans pudeur du beau nom de patriotisme. L'Italie était devenue une ferme qu'on exploitait sans pitié, et la guerre n'était plus qu'une opération financière bien conduite. Bonaparte ne s'en cachait pas, et il indiquait même le moyen de continuer ces bénéfices: «Plus vous nous enverrez d'hommes, écrivait-il21 au Directoire, plus non seulement nous les nourrirons facilement mais encore plus nous lèverons de contributions au profit de la République. L'armée d'Italie a produit dans la campagne d'été vingt millions à la République, indépendamment de sa solde et de sa nourriture; elle peut en produire le double pendant la campagne d'hiver, si vous nous envoyez en recrues et en nouveaux corps une trentaine de mille hommes. Rome et toutes ses provinces, Trieste et le Frioul, même une partie du royaume de Naples deviendront notre proie; mais, pour se soutenir, il faut des hommes.»
Ces spoliations étaient en quelque sorte officielles. On les avouait au grand jour. Elles avaient un semblant d'excuse: la nécessité de vivre en présence de l'ennemi. Les patriotes italiens, bien que désenchantés et vite revenus de leurs illusions, s'y seraient peut-être résignés, mais une véritable fièvre de vol et de pillage s'était abattue sur l'armée. Les généraux eux-mêmes donnaient l'exemple, Masséna surtout dont les exactions sont restées légendaires. Une nuée de fournisseurs, de commissaires, d'agioteurs de toute espèce et de voleurs de toutes qualités s'était comme emparé, à la suite de nos soldats, de cette malheureuse région. Ne prétendaient-ils pas se faire nourrir par les habitants22? Il fallut l'intervention directe du général en chef pour faire disparaître cet abus: mais que de vexations quotidiennes! Que de souffrances cachées! Ordres du jour sévères, exécutions même, rien n'y faisait. C'était un mal invétéré. Il est vraiment regrettable d'avoir à tracer ce triste tableau, mais la vérité a des droits imprescriptibles, et c'est un mauvais service à rendre à ses compatriotes que de leur cacher toutes les parties de l'histoire qui ne leur sont pas favorables.
La conséquence immédiate de cette série de malversations et de sévices fut une insurrection populaire. Il y avait à Milan un mont-de-piété très riche, où l'on gardait soit des bijoux de famille, soit divers objets précieux. On les conservait pour constituer des dots ou pour former des réserves jusqu'au moment du mariage. Bonaparte et Saliceti s'en emparèrent sans autre forme de procès. Cette spoliation fut connue, et excita l'indignation générale. Les Milanais coururent aux armes, mais le général Despinoy, prévenu à temps, parcourut les rues avec de fortes patrouilles de cavalerie, et dispersa les rassemblements.
Les choses se passèrent autrement dans la banlieue. Le 24 mai on entendit le tocsin sonner avec fureur dans tous les villages entre Milan et Pavie. Des paysans parcouraient la campagne par bandes armées, et se jetaient sur nos détachements. Les bruits les plus sinistres étaient répandus. Tantôt on apprenait que les Anglais venaient d'entrer à Nice et que le prince de Condé avec les émigrés se dirigeait par la Suisse sur Milan; tantôt c'était Beaulieu qui reprenait l'offensive à la tête d'une armée de 60.000 hommes. Bonaparte se disposait alors à rentrer en campagne contre l'Autriche. Or les insurgés menaçaient ses derrières et le prenaient entre deux feux. Il était imprudent de s'avancer avant d'avoir comprimé l'insurrection. D'heure en heure les mauvaises nouvelles se succédaient au quartier général. Pavie s'était insurgée, et le commandant français avait été fait prisonnier avec toute la garnison. L'avant-garde des révoltés s'était même avancée jusqu'à Binasco, sur la route de Milan. Milan grondait sourdement. La population était hostile et menaçante. Elle semblait n'attendre qu'un signal pour se déclarer. Les mécontents avaient renvoyé tous leurs domestiques, sous prétexte de manque de ressources. C'étaient autant de recrues pour l'insurrection. Déjà la garnison autrichienne qui occupait encore la citadelle s'apprêtait à donner la main aux insurgés. Les douaniers avaient pris les armes. La cocarde nationale avait été foulée aux pieds. Les prêtres couraient la campagne et prêchaient la guerre sainte contre les mécréants qui dépouillaient les églises et ne respectaient pas la famille. C'était une Vendée italienne qui s'organisait.
Bonaparte, inquiété par ces démonstrations hostiles, suspendit aussitôt le mouvement commencé contre l'Autriche et rentra à Milan. Le général Despinoy, qu'il avait nommé gouverneur de Milan, n'avait pas attendu son retour pour essayer de réprimer l'insurrection. Il avait contenu les Autrichiens dans la citadelle, lancé des patrouilles dans toute la ville, et dispersé les mécontents qui s'étaient déjà installés à la porte de Pavie afin de donner la main aux insurgés. Lannes23, envoyé contre eux, les rencontra à Binasco, s'empara de ce petit village malgré leur résistance et ne fit aucun quartier. Pendant ce temps, Bonaparte arrivait à Milan, ordonnait l'arrestation de nombreux otages24, faisait fusiller tous ceux qu'on avait pris les armes à la main, et marchait sur Pavie. Il s'était fait précéder de la proclamation suivante25: «Une multitude égarée, sans moyens réels de résistance, se porte aux derniers excès dans plusieurs communes, méconnaît la République et brave l'armée triomphante de plusieurs rois. Ce délire inconcevable est digne de pitié. On égare ce pauvre peuple pour le conduire à sa perte. Le général en chef, fidèle aux principes qu'a adoptés la nation française, qui ne fait pas la guerre aux peuples, veut bien laisser une porte ouverte au repentir, mais ceux qui, sous vingt-quatre heures, n'auront pas posé les armes et n'auront pas de nouveau prêté serment d'obéissance à la République, seront traités comme rebelles; leurs villages seront brûlés. Que l'exemple terrible de Binasco leur fasse ouvrir les yeux. Son sort sera celui de toutes les villes et villages qui s'obstineront à la révolte.»
L'archevêque de Milan s'était chargé de porter cette proclamation à Pavie. Il y fut très mal accueilli, et Bonaparte se vit obligé de sévir. Plusieurs milliers de paysans s'étaient enfermés dans la vieille cité gibeline, et faisaient mine de prolonger la résistance. Bonaparte ordonna d'en enfoncer les portes à coups de canon, et le général Dommartin pénétra avec ses grenadiers par la brèche improvisée. Le massacre fut terrible. Tous ceux que l'on surprit dans les caves ou sur les toits des maisons furent passés par les armes. Les fuyards furent poursuivis à outrance et sabrés sans miséricorde. Pendant plusieurs heures la ville fut livrée au pillage26. C'était une atrocité depuis longtemps proscrite par les nations civilisées, et encore Bonaparte eut-il l'art de la présenter comme un acte de clémence. «Trois fois l'ordre de mettre le feu à la ville expira sur mes lèvres, écrivit-il au Directoire27, lorsque je vis arriver la garnison du château qui avait brisé ses fers, et venait, avec des cris d'allégresse, embrasser ses libérateurs. Je fis faire l'appel, il se trouva qu'il n'en manquait aucun. Si le sang d'un seul Français eût été versé, je voulais faire élever, des ruines de Pavie, une colonne sur laquelle j'aurais fait écrire: Ici était la ville de Pavie. J'ai fait fusiller la municipalité, arrêter deux cents otages, que j'ai fait passer en France. Tout est aujourd'hui parfaitement tranquille, et je ne doute pas que cette leçon ne serve de règle aux peuples de l'Italie.»
Afin de prévenir le retour de semblables émeutes, une proclamation draconienne annonça qu'à l'avenir tous les villages insurgés seraient brûlés, et les prisonniers fusillés. Les prêtres et les nobles seront considérés comme otages et envoyés en France. Tous les villages où sonnera le tocsin seront brûlés. Quand un Français aura été assassiné, les villages sur le territoire duquel aura été commis le crime, devront livrer l'assassin, ou sinon ils paieront une amende égale au tiers de la contribution qu'ils payaient dans une année. Tout détenteur d'armes et de munitions de guerre sera fusillé, et sa maison brûlée. Tous les nobles ou riches «qui seront convaincus d'avoir excité le peuple à la révolte, soit en congédiant leurs domestiques, soit par des propos contre les Français seront arrêtés comme otages, transférés en France et la moitié de leurs revenus confisqués.» Les patriotes lombards, en accueillant les Français, avaient espéré conquérir l'indépendance. Tel était le régime d'arbitraire et de bon plaisir qu'on prétendait leur imposer. Certes l'insurrection de Pavie devait être réprimée, mais était-il nécessaire de la noyer dans le sang? Avait-on publié que nos provocations, que nos spoliations iniques étaient la cause principale de cette effervescence populaire? Ainsi que l'a écrit un des historiens les plus récents de Napoléon28, «huit jours avaient suffi pour changer un peuple ami, connu par la douceur de ses mœurs, et dont les sympathies pour la France allaient jusqu'à l'enthousiasme, en une population défiante, hostile, irritée, que la terreur seule empêchait de manifester ses véritables sentiments».
On s'en aperçut bien quand la fortune des armes sembla nous être contraire, lorsque Wurmser, à la tête de 70.000 hommes, descendit la vallée de l'Adige pour aller débloquer Mantoue et dispersa nos avant-postes. À la nouvelle de ses premiers succès, les nobles, les prêtres et tous les mécontents reprirent courage. De nombreux émissaires furent envoyés dans les campagnes, porteurs d'écrits injurieux et de billets diffamatoires contre la France. Ces menées réussirent. À Casal Maggiore la petite garnison française fut égorgée, et le commandant, qui s'était enfui en bateau avec sa femme et son enfant, fut arrêté et impitoyablement fusillé. À Crémone, le soulèvement fut général. L'arbre de la liberté fut conservé, mais parce qu'on le destina à pendre les patriotes, et de véritables listes de proscription furent dressées. Tous ceux qui refusèrent de quitter la cocarde tricolore furent accablés de mauvais traitements. Quelques-uns de nos partisans furent même poursuivis et massacrés. La masse de la population néanmoins resta tranquille. On eût dit qu'elle attendait pour se déclarer l'issue de la lutte engagée.
Les Lombards avaient eu raison d'attendre, car les victoires de Lonato, Castiglione, Roveredo, Bassano, etc., dispersèrent les renforts autrichiens, et nous consolidèrent dans notre conquête. Bonaparte en sut gré aux Lombards, et leur témoigna sa satisfaction. «Lorsque l'armée battait en retraite, écrit-il à la municipalité de Milan29, lorsque les partisans de l'Autriche et les ennemis de la liberté la croyaient perdue sans ressource, lorsqu'il était impossible à vous-mêmes de soupçonner que cette retraite n'était qu'une ruse, vous avez montré de l'attachement pour la France et de l'amour pour la liberté; vous avez déployé un zèle et un caractère qui vous ont mérité l'estime de l'armée et vous mériteront la protection de la République Française. Chaque jour votre peuple se rend davantage digne de la liberté; il acquiert chaque jour de l'énergie, il paraîtra sans doute un jour avec gloire sur la scène du monde. Recevez le témoignage de ma satisfaction et du désir sincère que forme le peuple français de vous voir libres et heureux.
En dépit de ces compliments et de ces promesses, et malgré le désir peut-être alors sincère qu'éprouvait Bonaparte de donner la liberté à un peuple italien, les faits démentaient cruellement les paroles. Alors que le général en chef paraissait si bien disposé pour les Lombards, ses lieutenants et surtout ses agents subalternes les traitaient au contraire avec un sans-gêne révoltant. Plus que jamais ce beau pays était ravagé et foulé aux pieds. Le général Despinoy, que Bonaparte avait investi du commandement de Milan, avec la double charge de s'emparer du château de cette ville que défendait encore une garnison autrichienne, et de présider les séances du conseil municipal, s'était acquitté de sa mission. Le château avait capitulé, ce qui rendait difficile un retour offensif de l'Autriche, et les conseillers municipaux avaient été présidés avec une implacable dureté. Ils ne pouvaient prendre la moindre mesure, même la plus inoffensive, sans l'assentiment de Despinoy30. On raconte même qu'un jour il s'emporta jusqu'à frapper de son épée la table des délibérations, et rappela aux municipaux tremblants qu'ils n'étaient bons qu'à enregistrer les volontés du vainqueur, Parini saisissant alors son écharpe tricolore, la lui tendit en s'écriant: «Vous feriez bien mieux de la passer à notre cou et de nous étrangler avec.» Ainsi qu'il arrive toujours, les inférieurs exagéraient l'attitude hautaine et les procédés méprisants de leurs chefs. À Côme le Corse Valeri, s'étant procuré une satire rédigée contre lui, rassembla dans la cathédrale tous les hommes au-dessus de douze ans, et leur fit écrire à chacun son nom afin que, par la confrontation des caractères, on connût l'auteur du libelle. Ceci n'était que ridicule; mais que dire des actes féroces et des facéties cruelles? Que dire des vexations de chaque jour? Défense de se promener ou de sortir de la ville sans passeport; défense d'exercer publiquement le culte catholique; interception des journaux étrangers; violation du secret des lettres; défense de porter des habits à l'ancienne mode31, et le tout au nom de la liberté. Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom! disait Mme Roland. Que d'absurdités et d'inconséquences, que de maladresses et de turpitudes, pourrions-nous ajouter!
Lorsque, pour la seconde fois, une nouvelle armée autrichienne, commandée par Allvintzy, essaya, en novembre 1796, de débloquer Mantoue, les ennemis de la France, et leur nombre avait singulièrement grandi, crurent le moment venu de la vengeance et de la réaction. Nos troupes, déconcertées par cette subite irruption dans leurs lignes, furent un moment ébranlées. On crut en Italie à leur prochaine défaite, et les mécontents s'apprêtèrent à profiter de la victoire probable de l'Autriche. À Milan, à Pavie, à Crémone, dans presque toutes les villes lombardes, bien qu'occupées par des garnisons françaises, tous ceux qui regrettaient l'ancien régime, tous ceux dont les déceptions égalaient les regrets, tressaillirent d'espérance. Cette fois encore, la victoire se déclara en notre faveur. Arcole et Tivoli achevèrent la ruine de l'Autriche et affermirent la domination française. La Lombardie reçut le contre coup de ces victoires. On la punit durement d'avoir osé manifester son désir d'être traitée plus doucement qu'un pays conquis. Tous les commandants de place nommés par Bonaparte rivalisèrent de dureté, on dirait volontiers de tyrannie. Un comité de police générale fut institué à Milan, qui déporta pour délit d'opinion, pour malveillance supposée, pour services rendus à l'ancienne administration. La forme avait changé; le fond restait le même. À la tyrannie autrichienne était substituée la tyrannie française, d'autant plus odieuse qu'elle se colorait du beau nom d'alliance. À l'archiduc avaient succédé les généraux, les commissaires, et tous ces agents subalternes qui redoublaient de sévérité pour prouver leur zèle, et aussi pour cacher de scandaleuses malversations; car, plus que jamais, la Lombardie était un marché ouvert, une grande agence de spéculations éhontées et de vols scandaleux.
Au moins rendrons-nous cette justice à Bonaparte que les tripotages financiers le dégoûtèrent promptement, il consentait bien à exploiter, ou, comme il l'écrivait, à faire produire les pays conquis, mais dans l'intérêt de la République Française. Les voleries des particuliers l'indignaient. Ce qu'il tolérait pour l'État, il l'interdisait absolument pour les individus. Aussi déclara-t-il la guerre aux pillards éhontés qui déshonoraient la victoire, et cette guerre il la poursuivit sans relâche. À chaque page de sa Correspondance éclate son mépris pour les agioteurs et les tripoteurs d'affaires véreuses. Il finit par ordonner la création d'une commission de cinq membres, sous la présidence du général Baraguey d'Hilliers, et l'investit de pouvoirs extraordinaires pour faire rendre gorge aux voleurs et les punir sévèrement. «Nous avons conquis l'Italie, était-il dit32 dans les considérants de cet arrêté, pour améliorer le sort de ses peuples; nous y avons établi des contributions pour assurer notre conquête, offrir à la patrie une juste indemnité et aux soldats une récompense due à leur valeur; mais jamais il n'a été dans l'intention du gouvernement français d'autoriser les abus de toute espèce, les extorsions scandaleuses que se sont permis plusieurs agents à la suite de l'armée. La loi, en les rendant justiciables des conseils militaires, m'a imposé l'obligation d'être leur accusateur; mais, au milieu des occupations immenses qui absorbent tous mes moments, il m'est impossible de découvrir moi-même la vérité dans ce labyrinthe de procès et les milliers de plaintes qui me sont portées sur des objets aussi importants.»
C'est sans doute sur cette difficulté de démêler la vérité que comptaient les voleurs officiels ou extraordinaires; car, malgré les ordres impératifs de Bonaparte, malgré la commission des cinq, les pillages et les tromperies continuèrent. Bonaparte dut se contenter de dénoncer et de punir quand il prenait sur le fait. «Je m'occupe de faire la guerre aux fripons écrivait-il au Directoire33, j'en ai fait juger et punir plusieurs. Je dois vous en dénoncer d'autres.» Ce sont surtout les agents de la compagnie Flachat, les nommés La Porte, Peragallo et Payan, qu'il semble poursuivre de sa haine. «Ce n'est qu'un ramassis de fripons, écrivait-il, sans crédit réel, sans argent et sans moralité. Je ne serai pas suspect pour eux, car je les croyais actifs, honnêtes et bien intentionnés, mais il faut se rendre à l'évidence.» Ils ont reçu quatorze millions, et n'ont payé que six millions, et encore ont-ils fourni de mauvaises marchandises et opéré des versements factices. «Ce ne sont pas des négociants, mais des agioteurs comme ceux du Palais Royal.» Quant aux commissaires des guerres, sauf Denniée, Mazade, Boinod, et deux ou trois autres, ce sont tous des fripons. L'un, Gosselin, vend à 36 francs le foin qu'il se procure pour 18. L'autre, Flach, vend à son profit une caisse de quinquina donnée par le roi d'Espagne pour les soldats français atteints par la fièvre; ceux-ci passent à leur compte des matelas et des toiles fines donnés par la ville de Crémone pour les hôpitaux. «Ils volent d'une manière si ridicule que, si j'avais un mois de temps, il n'y en a pas un qui ne pût être fusillé.» Les agents de l'administration valaient moins encore. L'un d'entre eux, Thévenin, avait vendu à Bonaparte quelques beaux chevaux, et ne voulait pas en recevoir le prix malgré les instances du général en chef, espérant que ce dernier fermerait les yeux. Ce dernier visait moins à la fortune qu'au pouvoir. Son ambition était plus haute. Aussi repoussa-t-il avec indignation la complicité déshonnête de Thévenin. «Faites-le arrêter, écrivait-il, retenez-le six mois en prison. Il peut payer 500,000 écus de taxe de guerre en argent.» C'étaient surtout les entrepreneurs de charrois34, dont les exactions étaient scandaleuses. Bonaparte en signale quelques-uns, Sonolet, Auzon, Elie, Hartea, comme d'effrontés voleurs. Il aurait même voulu que trois d'entre eux, Bœkly35, Chevilly et Descrivains, qui avaient fait des versements factices, fussent condamnés à mort: mais ces fripons avaient de hautes protections, même dans l'entourage immédiat du général en chef36, et ils échappèrent au châtiment qu'ils méritaient si bien.
Le désordre continua, depuis la compagnie Flachat37 qui volait cinq millions à la fois, jusqu'aux simples gardes de magasins qui grappillaient sur les fournitures, et tous ces vols, toutes ces tromperies retombaient sur les malheureux Italiens. À vrai dire le corps expéditionnaire tout entier, à l'exception de son chef et de quelques officiers ou soldats, dont l'âme était trop bien située pour accepter de pareils moyens de s'enrichir, l'armée française puisait à pleines mains dans les trésors italiens. Certes les Lombards faisaient un dur apprentissage de la liberté. Il était grand temps pour eux qu'un ordre relatif s'établit. Heureusement l'Autriche fut définitivement vaincue, et Bonaparte, qui lui avait imposé presque sous les murs de Vienne les préliminaires de Leoben, revint à Milan pour y jouir de sa gloire et organiser sa conquête.
Malgré la tyrannie française, malgré les spoliations iniques de nos agents, les patriotes italiens n'avaient pas désespéré. Ils ne pouvaient croire que la France les rendrait à l'Autriche, et, au lieu d'assurer leur indépendance, confirmerait leur servitude. Même aux plus mauvais jours de l'occupation française, ils s'étaient toujours comportés comme de sincères alliés. Non seulement ils avaient payé toutes les contributions de guerre, mais encore ils avaient organisé des régiments38 et rendu à Bonaparte de réels services en tenant garnison dans les places fortes et en lui servant de troupes de réserves. Le général en chef leur avait à plusieurs reprises exprimé sa satisfaction. Dès le mois de juin 1796, c'est-à-dire avant que les grands coups n'eussent été portés contre les Autrichiens, avant que la question militaire par conséquent n'eut été tranchée en notre faveur, voici comment il s'exprimait sur le compte des Lombards dans un rapport39 au Directoire: «La municipalité de Milan, celle des principales villes de la Lombardie m'ont manifesté le vœu d'envoyer des députés à Paris. Le citoyen Serbelloni est à la tête. Il est patriote, ce qui a produit ici un effet d'autant plus avantageux qu'il jouit d'une grande considération, étant de la première famille du Milanais, et fort riche. Ces députés ont manifesté leurs vœux ici contre la maison d'Autriche. Ils savent qu'il n'y aurait plus de sûreté pour eux dans un retour. La Lombardie est parfaitement tranquille. Les chansons politiques sont dans la bouche de tout le monde. L'on s'accoutume ici à la liberté. La jeunesse se présente en foule pour demander du service dans nos corps; nous n'en acceptons pas, parce que cela est contraire, je crois, aux lois: mais peut-être serait-il utile de former un bataillon de Lombards, qui, commandés par des Français, nous aiderait à contenir le pays. Je ne ferai rien sur un objet aussi important et délicat sans vos ordres.»
Bonaparte n'avait donc pas encore d'idée bien arrêtée, mais ses sympathies étaient visibles. Il ne demandait pas mieux que d'utiliser40 les bonnes dispositions des Lombards, sauf à les récompenser de leur dévouement à la paix générale. Au fur et à mesure que grandirent ses pensées, en même temps qu'augmentèrent ses victoires, il comprit la nécessité de s'attacher les Lombards par les liens de la reconnaissance et de l'intérêt, et ne cessa de prendre en main leur cause, de les protéger contre les exactions de ses agents, et de les rassurer sur l'avenir. Un peu avant Leoben, quand le bruit commença à se répandre de la chute et du partage projeté de Venise, les Lombards prirent peur, et envoyèrent une députation au général victorieux. Ce dernier s'empressa de les rassurer: «Vous demandez des assurances pour votre indépendance à venir, leur répondit-il41, mais ces assurances ne sont-elles pas dans les victoires que l'armée d'Italie remporte chaque jour? Chacune de ces victoires est une ligne de votre charte constitutionnelle. Les faits tiennent lieu d'une déclaration par elle-même puérile. Vous ne doutez pas de l'intérêt et du désir bien prononcé qu'a le gouvernement de vous constituer libres et indépendants.» Depuis le jour de son entrée à Milan, Bonaparte n'avait donc pas varié dans l'expression de ses désirs, et, bien qu'il eût constamment refusé de prendre un engagement définitif, les Lombards avaient le droit de compter sur lui.
Le moment était venu de réaliser ces promesses. Ce fut la grande préoccupation de Bonaparte dès son retour à Milan. Comme il était par sa famille et son origine à demi Italien, il chercha à satisfaire les vœux et les aspirations des Italiens, non pas seulement pour acquérir une facile popularité, mais parce que c'était réellement une grande idée, féconde en résultats, que celle de créer dans la péninsule des États libres, et intéressés à conserver l'alliance de la nation qui leur aurait procuré l'indépendance. L'amitié certaine de la Lombardie valait bien mieux pour la France que sa conquête. En rendant la liberté aux Lombards, en les entourant du prestige d'une révolution pacifique, non seulement les Français se délivraient de l'embarras de tenir des garnisons sur les derrières de leur armée, et se ménageaient de précieux auxiliaires, mais encore ils se voyaient secondés par ceux qui autrement eussent été leurs ennemis. Bonaparte ne l'ignorait pas. Il était donc parfaitement résolu à créer une république indépendante; mais, avant de se prononcer d'une façon définitive, il voulut étudier le terrain et se rendre compte de l'état des esprits.
Telles n'étaient pas les intentions du Directoire. Il n'avait autorisé la marche en avant de Bonaparte et l'occupation des provinces italiennes de l'Autriche qu'avec l'arrière-pensée de les restituer à titre de compensation territoriale contre la Belgique. Aussi n'avait-il jamais consenti à prendre un engagement quelconque vis-à-vis des Lombards. Bonaparte pensait autrement, et, comme il n'était déjà plus de ceux auxquels un gouvernement régulier impose des volontés, comme il se sentait indispensable et se souciait peu des instructions les plus formelles, il ne tint aucun compte des sentiments bien connus du Directoire, et résolut, cette fois encore, de n'agir qu'à sa guise et au mieux de ses intérêts.
Il s'était installé à Montebello ou Mombello, près de Milan, dans un magnifique palais qui devint aussitôt le centre des affaires et la véritable capitale. Sa mère et sa femme l'y avaient rejoint, ainsi que sa sœur Pauline, ses frères Joseph et Louis, et son oncle Fesch. Ils l'aidaient à faire les honneurs de cette fastueuse résidence. On eût dit la cour d'un souverain. L'étiquette la plus sévère régnait. Le temps était passé des brusqueries jacobines. Aides de camp en grande tenue, nombreux domestiques en livrée correcte, voitures de gala, dîners en public, audiences solennelles et particulières, rien ne manquait à Mombello. Le Napolitain Gallo, l'Autrichien Merfeldt étaient ses hôtes habituels. Melzi, Serbelloni, et les chefs de l'aristocratie milanaise, ainsi que les représentants de tous les princes allemands ou italiens étaient accourus auprès de lui et le sollicitaient avec plus d'ardeur qu'un souverain légitime. Dans son cortège figuraient les généraux des autres armées de la République attirés par sa réputation, des agents du Directoire qui saluaient en lui leur maître futur, des savants42 et des artistes qu'il captivait par de gracieuses avances. «Ce n'était déjà plus le général d'une république triomphante43. C'était un conquérant pour son propre compte imposant ses lois aux vaincus.»
Les Lombards surtout, dont les destinées se réglaient alors, entouraient l'heureux général et s'efforçaient de surprendre le secret de ses résolutions; mais Bonaparte acceptait leurs avances, les écoutait tous et restait impénétrable. Il voulait voir les partis venir à lui.
Il y avait en effet déjà dans cette Lombardie, à peine émancipée du joug autrichien, deux partis, les modérés et les exaltés. Les modérés appartenaient à la bourgeoisie et aux nobles qui, dès le début, s'étaient jetés dans nos bras. Serbelloni, Melzi, Visconti, Contarini, Litta, Morosini, en étaient les chefs les plus marquants. Les modérés croyaient sincèrement à l'avenir de la patrie italienne. Ils acceptaient la domination française, mais comme une nécessité temporaire44. Leur foi dans les destinées italiennes était inébranlable, peut-être même un peu naïve. Les uns auraient accepté le roi de Sardaigne comme souverain, car c'eût été le moyen d'arriver plus vite à constituer une Italie une et indépendante; les autres se seraient volontiers accommodés de Bonaparte. Il est certain que des ouvertures lui furent faites en ce sens. On a conservé une lettre45 fort intéressante, qui sans doute n'est pas signée, mais qui ne peut avoir été écrite que par un Italien très au courant de la politique et des intrigues contemporaines. D'après l'auteur anonyme, Bonaparte n'avait que trois partis à prendre: le premier, de retourner en France et d'y vivre en simple citoyen, mais il ne convenait ni aux circonstances ni au génie de Bonaparte; le second, de rentrer en France à la tête de l'armée et de s'y poser en chef de parti, mais c'était un coup d'État, et on n'osait le conseiller. Voici quel est le troisième: «Formez de l'Italie un grand empire, que ce nouvel État prenne un fort ascendant dans la balance de l'Europe, qu'il tienne le milieu entre l'Empire et la France, et établisse entre ces puissances un équilibre parfait, en se déclarant contre celle qui voudrait opprimer l'autre. Soyez le chef de cet empire, gardez à votre solde une grande partie de l'armée française pour contenir les différents peuples et assurer l'exécution de ce plan. La France vous devra l'éloignement de cette armée qu'elle ne pourrait entretenir qu'avec peine, et dont l'esprit troublerait sa tranquillité. Elle vous devra la paix et vous aurez mérité son estime et son admiration. Soyez son plus fidèle allié… Vous pouvez aussi devenir redoutable par vos forces maritimes et disputer par la suite l'empire de la mer aux Anglais, ou au moins les chasser entièrement de la Méditerranée. Cette entreprise digne de vous, général, et dont je ne détaille pas tous les avantages, qui vous frapperont au premier aperçu, est la seule qui puisse mettre le sceau à votre gloire, ramener une paix durable en France, procurer de la stabilité au gouvernement, et, en vous élevant au faîte des grandeurs, vous faire encore bien mériter de la patrie.» Certes la perspective qu'ouvrait à l'ambition de Bonaparte l'auteur de cette lettre était vaste, mais il est probable que les projets du général ne s'arrêtaient plus à la péninsule. C'est à la France et non plus à l'Italie qu'il pensait. Sans doute il aurait consenti à se faire de l'Italie comme un marche-pied, mais pour monter plus haut. «J'ai entendu raconter au jeune et candide Villetard, écrit Botta46, que se promenant un jour à Montebello avec Bonaparte et Dupuis, qui mourut général en Égypte dans la révolte du Caire, Bonaparte, s'arrêtant tout à coup, leur dit: «Que penseriez-vous si je devenais roi de France?» et que Dupuis, grand républicain de profession, lui répondit: «Je serais le premier à vous plonger un poignard dans le cœur.» Sur quoi Bonaparte se mit à rire.» Le général riait, mais il ne parlait pas au hasard et cette soudaine effusion cachait mal de secrètes pensées. Le premier rang, même en Italie, ne lui convenait plus. Il ne le jugeait pas digne de sa fortune et de son avenir, et, sans nul doute, dans ce jardin de Montebello, songeait déjà au coup d'État qui devait lui donner la suprême autorité en France.
Aussi bien, si Bonaparte ne se considérait pas comme l'homme de l'Italie47, les Italiens, de leur côté, même les modérés, ne tenaient à lui que médiocrement. Quelques-uns d'entre eux, honteux de leur asservissement, songeaient déjà à chasser les Français d'Italie. C'étaient les chefs de la garde nationale lombarde, Lahoz, Pino, Teulié, Birago. Ils avaient fondé une société secrète, dite des Rayons, dont le but était la création d'une Italie non plus avec le secours de l'étranger, mais exclusivement par les forces italiennes. Peu à peu cette société s'étendra et ses opinions finiront par s'imposer. C'est déjà le parti national, ce qu'on pourrait appeler la Jeune Italie.
Quant aux exaltés, ils se composaient de tous ceux qui, dans la sincérité de leur cœur, ou par misérable calcul d'intérêt personnel, s'imaginaient qu'il était de bon goût de copier les exagérations jacobines. Quelques bourgeois, ou plutôt quelques boutiquiers, des ouvriers, de petits fonctionnaires, et la tourbe des déclassés appartenaient à ce parti. Les journalistes qui se grisaient eux-mêmes au cliquetis de leurs périodes en constituaient la force apparente. Ils prêchaient avec ardeur la démocratie ou plutôt la démagogie, grand mot ronflant, système dont ils ne comprenaient seulement pas les obligations. Pour eux toute contrainte était une gène, toute obéissance un abus. Aussi plaignaient-ils comme un martyr tout citoyen frappé par la loi, comme une victime quiconque était obligé soit de payer un impôt, soit de ne pas satisfaire ses désirs. Un journal de Milan, le Thermomètre Politique, était devenu le principal de leurs organes. C'est là qu'agitaient les esprits par leurs articles furibonds, Salvadori, Lattanzi, Salfi, Poggi et Abamonti. «Habiles dans les luttes de la révolution48, mais non dans les combats de la liberté, ils déployaient du talent, là où il fallait du caractère. Avec la même audace qu'ils avaient montrée pour renverser les premières barrières, ils foulaient aux pieds les principes et les mœurs, et abusaient de la liberté jusqu'à l'outrage.» Toute une littérature républicaine sortait de ces officines milanaises: Notions démocratiques49 à l'usage des Écoles normales; Pensées d'un républicain sur le bonheur public et privé; Doctrine des Anciens sur la liberté; De la souveraineté du peuple; Un républicain jadis noble aux anciens nobles. Ces pamphlets, aussi médiocres pour le fond que détestables pour la forme, étaient imprimés à un nombre considérable d'exemplaires, et lus avec avidité. De Milan ils se répandaient dans l'Italie entière. Il est vrai que Milan était devenu comme l'asile des réfugiés italiens, romains, napolitains, modènais ou vénitiens, qui tous, comme de juste, étaient venus y grossir les rangs des exaltés. On citait parmi eux deux prêtres qui avaient abjuré, le métaphysicien Poli et Melchior Gioja, le savant statisticien; Tambroni un érudit, Beccatini un historien, Custodi un économiste. Le médecin Rasori, l'architecte Romain Barbieri, et le savant commentateur des douze Tables, Valoriani, se signalaient parmi les plus fougueux adversaires de l'ancien régime. Un jeune improvisateur Romain, Gianni, mêlait à de furibondes attaques contre les tyrans de plates adulations en l'honneur du héros libérateur de l'Italie. Le Vénitien Foscolo travaillait à sa tragédie de Tieste, et prenait du service dans l'armée lombarde. C'était surtout dans les clubs, plus encore que dans les journaux, que ces Lombards ou Italiens, donnaient carrière à leur exaltation. Tantôt ils se contentaient d'émettre des propositions simplement absurdes, partage des propriétés, taxe progressive sur les comestibles, ateliers nationaux, etc., tantôt ils discréditaient par d'insolentes bravades la liberté et la République. Aujourd'hui ils demandaient la permanence de la guillotine, demain le massacre de tous les pères et de toutes les mères appartenant à la noblesse, afin que leurs enfants fussent élevés dans les nouveaux principes50. Ils proposaient encore de brûler le Vatican, ou bien de jeter les Bourbons de Naples dans le Vésuve, ou bien encore de disperser les cendres de la famille royale piémontaise, déposées à la Superga, et de les remplacer par celles des patriotes immolés. Dans ces clubs, et spécialement dans celui qui s'était pompeusement intitulé Société de l'instruction publique, la fureur révolutionnaire atteignait son paroxysme. Cette société n'avait-elle pas inscrit dans son programme: destruction de toutes les religions, renversement de tous les trônes51.
Bonaparte n'éprouvait pour ces démagogues qu'une sympathie médiocre. «Soyez sûr, écrivait-il à Greppi52, qu'on réprimera cette poignée de brigands, presque tous étrangers à Milan, qui croient que la liberté est le droit d'assassiner, qui ne peuvent pas imiter le peuple français dans les moments de courage et les élans de vertus qui ont étonné l'Europe; mais qui chercheraient à renouveler les scènes horribles produites par le crime, et qui sont l'objet éternel de la haine et du mépris du peuple français.»