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Henri V

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William Shakespeare
Henri V

TRAGÉDIE

NOTICE SUR HENRI V

C'est à tort que la plupart des critiques ont regardé Henri V comme l'un des plus faibles ouvrages de Shakspeare. Le cinquième acte, il est vrai, est vide et froid, et les conversations qui le remplissent ont aussi peu de mérite poétique que d'intérêt dramatique. Mais la marche des quatre premiers actes est simple, rapide, animée; les événements de l'histoire, plans de gouvernement ou de conquête, complots, négociations, guerres, s'y transforment sans effort en scènes de théâtre pleines de vie et d'effet; si les caractères sont peu développés, ils sont bien dessinés et bien soutenus; et le double génie de Shakspeare, moraliste profond et poëte brillant, même dans les formes pénibles et bizarres qu'il donne à sa pensée et à son imagination, y conserve son abondance et son éclat.

On rencontre aussi, dans les paroles du choeur qui remplit les entr'actes, des preuves remarquables du bon sens de Shakspeare et de l'instinct qui lui faisait sentir les inconvénients de son système dramatique: «Permettez, dit-il aux spectateurs dès le début de la pièce, que nous fassions travailler la force de votre imagination… C'est à votre pensée à créer en ce moment nos rois pour les transporter d'un lieu à l'autre, franchissant les temps et resserrant les événements de plusieurs années dans l'espace d'une heure.» Et ailleurs: «Accordez-nous votre patience et pardonnez l'abus du changement de lieu auquel nous sommes réduits pour resserrer la pièce dans son cadre.»

La partie populaire et comique du drame, bien que la verve originale de Falstaff n'y soit plus, offre des scènes d'une gaieté parfaitement naturelle, et le Gallois Fluellen est un modèle de ce bavardage militaire sérieux, naïf, intarissable, inattendu et moqueur, qui excite en même temps le rire et la sympathie.

TRAGÉDIE

Lords, courriers, soldats français, anglais, etc
La scène, au commencement de la pièce, est en Angleterre, ensuite toujours en France
LE CHOEUR

Oh! si j'avais une muse de feu qui pût s'élever jusqu'au ciel le plus brillant de l'invention! un royaume pour théâtre, des princes pour acteurs, et des monarques pour spectateurs de cette sublime scène, c'est alors qu'on verrait le belliqueux Henri, sous ses traits naturels, avec la majesté du dieu Mars, menant en laisse, comme des limiers, la famine, la guerre et l'incendie qui ramperaient à ses pieds, pour demander de l'emploi. Mais, pardonnez, indulgente assemblée; pardonnez à l'impuissance du talent, qui a osé, sur ces planches indignes, exposer à la vue un objet si grand. Cette arène à combats de coqs peut-elle contenir les vastes plaines de la France? pouvons-nous entasser dans cet O 1 de bois tous les milliers de casques qui épouvantèrent le ciel d'Azincourt? Pardonnez, si un chiffre si minime doit représenter ici, sur un petit espace, un million. Permettez que, remplissant l'office des zéros dans cet énorme calcul, nous fassions travailler la force de votre imagination. Supposez qu'en ce moment, dans l'enceinte de ces murs, sont enfermées deux puissantes monarchies, dont les fronts levés et menaçants, l'un contre l'autre opposés, ne sont séparés que par l'Océan, étroit et périlleux: réparez par vos pensées toutes nos imperfections: divisez un homme en mille parties; et voyez en lui une armée imaginaire: figurez-vous, lorsque nous parlons des coursiers, que vous les voyez imprimer leurs pieds superbes sur le sein foulé de la terre. C'est à votre pensée à orner en ce moment nos rois; qu'elle les transporte d'un lieu dans un autre, qu'elle franchisse les barrières du temps, et resserre les événements de plusieurs années dans la durée d'une heure. Pour suppléer aux lacunes, souffrez qu'un choeur complète les récits de cette histoire: c'est lui qui, dans cet instant, tenant la place du prologue, implore votre attention patiente, et vous prie d'écouter et de juger la pièce avec indulgence.

ACTE PREMIER

SCÈNE I

Londres. – Antichambre dans le palais du roi
Entrent L'ARCHEVÊQUE DE CANTORBÉRY, L'ÉVÊQUE D'ÉLY

CANTORBÉRY. – Milord, je puis vous dire qu'on presse vivement la signature de ce même bill, qui aurait suivant toute apparence, et même infailliblement passé contre nous, la onzième année du règne du feu roi, si l'agitation de ces temps de trouble n'en avait interrompu l'examen.

ÉLY. – Mais, milord, quel obstacle lui opposerons-nous aujourd'hui?

CANTORBÉRY. – C'est à quoi il faut réfléchir. Si ce bill passe contre nous, nous perdons la plus belle moitié de nos domaines: car toutes les terres laïques, que la piété des mourants a données par testament à l'Église, nous seront enlevées. Voici la taxe: d'abord une somme suffisante pour entretenir, à l'honneur du roi, jusqu'à quinze comtes, quinze cents chevaliers et six mille deux cents bons gentilshommes; ensuite, pour le soulagement des pestiférés et des pauvres vieillards infirmes et languissants, dont le grand âge et le corps se refusent aux travaux, cent hôpitaux bien pourvus, bien entretenus; et de plus encore, pour les coffres du roi, mille livres sterling par an: telle est la teneur du bill.

ÉLY. – Ce serait presque épuiser la caisse.

CANTORBÉRY. – Ce serait la mettre à sec.

ÉLY. – Mais quel moyen de l'empêcher?

CANTORBÉRY. – Le roi est généreux et plein d'égards.

ÉLY. – Et ami sincère de la sainte Église.

CANTORBÉRY. – Ce n'était pas là ce que promettaient les écarts de sa jeunesse. Le dernier souffle de la vie n'a pas plutôt abandonné le corps de son père, que sa folie, mortifiée en lui, sembla expirer aussi: oui, au même moment, la raison, comme un ange descendu du ciel, vint et chassa de son sein le coupable Adam. Son âme épurée redevint un paradis, où rentrèrent les esprits célestes. Jamais jeune homme ne devint sitôt homme fait; jamais la réforme ne vint d'un cours plus soudain balayer tous les défauts: jamais le vice, cette hydre aux têtes renaissantes, ne perdit si promptement et son trône et tout à la fois.