Hendrik Von Bloom était un boor.
Ce mot signifie littéralement un rustre, un paysan vulgaire; pourtant en donnant à mynheer Von Bloom cette qualification, nous sommes loin de vouloir lui manquer de respect. Dans la colonie anglaise du cap de Bonne-Espérance, on appelle boor un fermier. Von Bloom était un fermier anglais du Cap.
Les boors de cette colonie ont joué un rôle considérable dans l'histoire moderne. Quoique naturellement pacifiques, ils ont été forcés de prendre les armes tant contre les Africains que contre les Européens. Dans les guerres qu'ils ont soutenues avec éclat, ils ont prouvé qu'un peuple tranquille se bat à l'occasion tout aussi bien que les nations chez lesquelles l'esprit militaire est soigneusement entretenu.
Les boors du Cap ont été accusés de s'être montrés cruels, surtout dans les expéditions dirigées contre les indigènes, Hottentots ou Bosjesmans. Sous un point de vue abstrait, le reproche peut être fondé; mais les provocations incessantes de ces sauvages ennemis sont des circonstances atténuantes à la conduite des colons. A la vérité ceux-ci ont réduit les Hottentots à l'esclavage; mais, vers la même époque, les Anglais transportaient de la Guinée aux Antilles des cargaisons de noirs, tandis que les Espagnols et les Portugais soumettaient les hommes rouges d'Amérique au joug le plus rigoureux.
Observons encore que les traitements barbares infligés à la race indigène par les boors étaient de la clémence, comparativement aux atrocités qu'elle avait à souffrir de la part de ses chefs despotiques.
Certes, la misérable situation des Hottentots ne justifie pas les Hollandais d'en avoir fait des esclaves; mais, eu égard aux circonstances, il n'est pas de nation maritime qui soit en droit de les taxer de cruauté. Ils avaient affaire à des sauvages abrutis et pervers et l'histoire de la colonisation ne pouvait manquer d'être remplie de tristes épisodes.
Je pourrais aisément, lecteur, défendre la cause des boors de la colonie du Cap; mais je me contente d'exprimer mon opinion: c'est qu'ils sont braves, vigoureux, paisibles, industrieux, amis de la vérité et de la liberté républicaine. C'est, en somme, une noble race d'hommes. Ainsi, quand j'ai donné à Hendrik Von Bloom, le nom de boor, ai-je voulu manquer d'égards envers lui? au contraire.
Mynheer Hendrik n'avait pas toujours été boor. Il était au-dessus de ses collègues, savait manier l'épée, et avait reçu une éducation supérieure à celle qu'ont ordinairement les simples fermiers du Cap. Il était né dans les Pays-Bas et était venu au Cap, non comme un pauvre aventurier qui cherche fortune, mais en qualité d'officier dans un régiment hollandais.
Il n'avait pas servi longtemps: certaine Gertrude aux joues roses et aux cheveux blonds, fille d'un boor aisé, s'était amourachée du jeune lieutenant, qui, à son tour, avait conçu pour elle une vive tendresse. Ils se marièrent, et le père de Gertrude étant venu à mourir peu de temps après, ils héritèrent de sa ferme, de ses Hottentots, de ses moutons à large queue, de ses bœufs à longues cornes. Hendrik ne pouvait se dispenser de donner sa démission; il la donna et se fit vee-boor, c'est-à-dire fermier domicilié.
Ces évènements eurent lieu plusieurs années avant que l'Angleterre devînt maîtresse du cap Bonne-Espérance. Quand elle s'en empara, Hendrik Von Bloom était déjà un homme influent dans la colonie et porte-drapeau de son district, qui faisait partie du beau comté de Graaf Beinet. A cette époque la blonde Gertrude n'existait plus; mais elle lui avait laissé trois fils et une fille.