Où il est expliqué comment l'auteur fut contraint de raconter l'histoire du Casse-Noisette de Nuremberg.
Il y avait une grande soirée d'enfants chez mon ami le comte de M… et j'avais contribué, pour ma part, à grossir la bruyante et joyeuse réunion en y conduisant ma fille.
Il est vrai qu'au bout d'une demi-heure, pendant laquelle j'avais paternellement assisté à quatre ou cinq parties successives de colin-maillard, de main chaude et de toilette de madame, la tête tant soit peu brisée du sabbat que faisaient une vingtaine de charmants petits démons de huit à dix ans, lesquels criaient qui mieux mieux, je m'esquivais du salon et me mettais à la recherche de certain boudoir de ma connaissance, bien sourd et bien retiré, dans lequel je comptais reprendre tout doucement le fil de mes idées interrompues.
J'avais opéré ma retraite avec autant d'adresse que de bonheur, me soustrayant non-seulement aux regards des jeunes invités, ce qui n'était pas bien difficile, vu la grande attention qu'ils donnaient à leurs jeux, mais encore à ceux des parents, ce qui était une bien autre affaire. J'avais atteint le boudoir tant désiré, lorsque je m'aperçus, en y entrant, qu'il était momentanément transformé en réfectoire, et que des buffets gigantesques y étaient dressés tout chargés de pâtisseries et de rafraîchissements. Or, comme ces préparatifs gastronomiques m'étaient une nouvelle garantie que je ne serais pas dérang avant l'heure du souper, puisque le susdit boudoir était réserv à la collation, j'avisai un énorme fauteuil à la Voltaire, une véritable bergère Louis XV à dossier rembourré et à bras arrondis, une paresseuse comme on dit en Italie, ce pays des véritables paresseux, et je m'y accommodai voluptueusement, tout ravi à cette idée que j'allais passer une heure seul en tête-à-tête avec mes pensées, chose si précieuse au milieu de ce tourbillon dans lequel, nous autres vassaux du public, nous sommes incessamment entraînés.
Aussi, soit fatigue, soit manque d'habitude, soit résultat d'un bien-être si rare, au bout de dix minutes de méditation, j'étais profondément endormi.
Je ne sais depuis combien de temps j'avais perdu le sentiment de ce qui se passait autour de moi, lorsque tout à coup je fus tir de mon sommeil par de bruyants éclats de rire. J'ouvris de grands yeux hagards qui ne virent au-dessus d'eux qu'un charmant plafond de Boucher, tout semé d'Amours et de colombes, et j'essayai de me lever; mais l'effort fut infructueux, j'étais attaché à mon fauteuil avec non moins de solidité que l'était Gulliver sur le rivage de Lilliput.
Je compris à l'instant même le désavantage de ma position; j'avais été surpris sur le territoire ennemi, et j'étais prisonnier de guerre.
Ce qu'il y avait de mieux à faire dans ma situation, c'était d'en prendre bravement mon parti et de traiter à l'amiable de ma liberté.
Ma première proposition fut de conduire le lendemain mes vainqueurs chez Félix, et de mettre toute sa boutique à leur disposition. Malheureusement le moment était mal choisi, je parlais à un auditoire qui m'écoutait la bouche bourrée de babas et les mains pleines de petit pâtés.
Ma proposition fut donc honteusement repoussée.