Des cinq nouvelles qui composent ce recueil, les trois premières n'ont jamais paru en librairie. Les deux dernières formaient, groupées avec d'autres, avec Donatienne, Madame Dor, l'Adjudant, les Trois Peines d'un Rossignol, un volume édité en 1894 sous le titre de Humble amour.
Or, en écrivant cette première version de Donatienne, celle que publia la Revue des Deux Mondes du 1er juin 1894, j'avais eu, très nettement, le sentiment que je composais le début d'un roman. Mais aucun des développements imaginés ne m'avait satisfait. Ce ne fut qu'après plusieurs années, vers l'été de 1900, que je trouvai, dans la vie réelle, comme toujours, le dénouement de ce drame de l'abandon. Je me remis aussitôt au travail. La nouvelle devint un roman. Le volume de Humble amour fut retiré de la librairie, et les exemplaires furent détruits.
Voilà de quel naufrage singulier j'ai cru pouvoir sauver deux nouvelles qui reparaissent ici.
R. B.
– Pour un joli jour, c'est un joli jour, mademoiselle Evelyne. C'est comme votre nom. En avez-vous eu de l'esprit, de choisir un nom pareil!
– Dites ça à maman: vous lui ferez plaisir.
– Je ne la connais pas. Mais je ne manquerai pas l'occasion, si madame Gimel vient déjeuner chez moi. Evelyne! On voit tout de suite la personne: blanche, frileuse, des yeux bleus, de la distinction, des cheveux de quoi rembourrer un matelas, et fins, et du blond de Paris, justement, couleur de noisette de l'année…
– Madame Mauléon, je demande l'addition, je suis pressée!
– Oui, oui, je comprends, je suis trop familière. Avec vous, il n'y a pas moyen de s'y tromper! Vos cils parlent malgré vous: ils se rapprochent, ils frémissent quand vous êtes fâchée; ils s'étalent pour dire merci…
La grande jeune fille, debout à côté du bureau de la crémière, ne put s'empêcher de rire.
– C'est vrai, dit-elle, mes camarades m'appellent quelquefois «mademoiselle aux yeux plissés».
– Ah! la jolie poupée vivante que vous faites! Et sage, avec cela! Dites, mademoiselle Evelyne, vous m'accorderez bien deux minutes; j'ai à vous…
La crémière s'interrompit:
– Mais enfin, Louise, donnez donc un carafon au 4. Monsieur attend depuis cinq minutes!